Janvier 22, 2025 - 2 commentaires
Léa De Cazo : l’agente des variétés résistantes !
On a interviewé Léa De Cazo, et c’est passionnant !
Dans ce nouvel épisode, nous partons à la rencontre de Léa De Cazo, qui nous explique comment elle est devenue agente de vignerons et vigneronnes qui cultivent des hybrides. Léa représente et promeut leurs vins auprès de cavistes et restaurateurs à Paris. Dans ce podcast, elle nous raconte son parcours, partage sa passion pour ces variétés résistantes souvent méconnues et explique leur potentiel face aux défis climatiques.
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Transcription écrite de l'interview
Peux-tu nous parler un peu de toi ?
Moi je ne suis pas du tout du vin, donc syndrome de l'imposteur énorme. Je viens du journalisme. J'ai été journaliste pendant cinq ans pour une émission de télévision qui a été diffusée sur Arte. Et puis j'ai découvert le vin grâce à Lori Haon, du Domaine du Petit Oratoire dans le Gard, pour qui j'ai travaillé, j'ai vendangé. J'ai eu un gros coup de cœur pour ce garçon, pour le domaine, pour la région d'où je viens. Donc j'avais un attachement particulier à cette région là et lui m'a fait confiance très vite. J'étais venue juste pour vendanger, puis très vite, il m'a mise dans le chai et ça a été un gros coup de cœur.
Et puis aussi, je dois beaucoup au propriétaire d’un restaurant rue de la Roquette qui m'a laissé travailler avec lui pendant un an. Voilà, il m'a fait goûter beaucoup de choses. Il m'a vraiment éduquée sur le côté dégustation. Un jour, alors que je travaillais dans ce bar là, Emmanuel Bienvenu (Château Gaillard) vient nous démarcher avec sa cuvée Plantet Noir. Et j'étais là, mais c'est quoi ce truc? J'avais vraiment un petit peu entendu parler des hybrides. C'était il y a deux ans, mais je n'avais jamais goûté. Et lui, il est venu avec sa cuvée, il nous a tout expliqué. J'ai trouvé ça génial.
Et après j'ai commencé à chercher qui cultivait. Raisin m’a beaucoup aidée d’ailleurs, parce que j’allais sur les profils des vignerons. Et parfois, quand ils cultivent des cépages résistants, ils le mettent dans leur bio. C’est comme ça que j'ai appelé Geoffrey Estienne. Je suis allée le voir dans la Creuse, il m'a expliqué plein de trucs. Je suis allée voir Emmanuel Bienvenu en Loire. En parallèle, le salon Vitis Batardus Liberata m’a permis de goûter plein de trucs différents.
Agence Orji
La naissance de l'agence Orji s'est faite grâce à Geoffrey Estienne et Emmanuel Bienvenu, qui m’ont dit qu’ils avaient du vin à vendre. Donc voilà, j'arrive avec une Clio vide et je suis repartie avec 600 bouteilles dans un coffre et fallait les vendre quoi. Et la cave de Belleville, là où on est, a été un de mes premiers prospects. Et je les remercie pour ça. Parce qu'ils m'ont donné confiance en moi dès le début, dès ma première tournée. Je suis venue ici avec les vins de Geoffrey qu'ils connaissaient déjà. Je tremblais, c'était ma première tournée en tant qu'agent. J'étais vraiment pas bien. ils ont dit “Ah ouais, ouais, ça goûte hybride, mais c'est vraiment bon”. Et là, ça a été lancé quoi. Voilà, c’était en janvier 2024. Aujourd'hui je travaille avec sept domaines qui sont en Belgique, Suisse, Languedoc, Creuse, Loire et puis Ardèche aussi. Je n'ai pas volonté à agrandir le catalogue pour l'instant. Ça permet aussi d'avoir un travail sur mesure avec les vignerons et vigneronnes. Voilà, c'est déjà assez de domaines. Il y a bien des grossistes à Paris qui font ça très bien. Moi je fais une agence à petite échelle et ça me suffit quoi.
Donc aujourd'hui, tu travailles aussi en restauration, chez Pluto ? Est ce que sur le long terme, tu envisages de vivre uniquement de ton activité d'agent ?
C'est cool la restauration, mais voilà, c'est des métiers qui épuisent le corps, c'est des horaires qui ne sont pas toujours faciles. Donc là, la restauration ça m'excite. Mais en effet, être agent, c'est plus la vocation à long terme quoi. Être agent distrib, organiser des salons et voilà, pourquoi pas bosser en parallèle avec des restos pour faire des événements. Mais jamais quitter le monde de la resto parce que c'est ce qui fait vivre les vignerons, les vigneronnes, c'est ce qui nous fait vivre, nous les agents, les grossistes, avec les cavistes, évidemment. Mais la resto, ça englobe vraiment le côté festif lié aux vins.
En tant qu'agent, je sais que je peux aller voir les vignerons dans leur domaine, je distribue leurs bouteilles. Et quand je bosse à Pluto je peux voir les réactions des clients, parce que ça m'arrive de servir des hybrides, de même les mettre au verre. On va mettre Paul Barlet, le Coudert, au verre. C'est génial. C'est un luxe en fait d'avoir la réaction des clients en direct sur des hybrides, sans même dire “Je vous présente un cépage résistant” ou quoi. Sauf s’ils sont curieux, j'enchaîne la discussion mais je trouve que des fois ça vaut pas le coup de rentrer direct dans le politique ou dans l'explication détaillée de ce que c'est un cépage résistant. L'idée c'est quand même de boire du vin, c'est juste de se taper un moment de kiff. Donc hybride ou pas quoi.
C’est quoi un cépage hybride ?
On dit vin hybride pour parler des vins qui sont issus de cépages hybrides. Donc en opposition aux vins qui sont faits à partir de cépages conventionnels (Pinot noir, Chardonnay, etc). Qu'est ce que les cépages hybrides ? Les cépages hybrides sont des cépages qui sont issus d'un croisement entre deux variétés de vignes différentes, souvent d'une vigne européenne et d'une vigne américaine. C'est un croisement qui est fait par voie de pollinisation. Ce n'est pas un croisement génétique, qui est fait en laboratoire. C'est un croisement au niveau naturel de la plante.
L'intérêt d'un tel croisement, c'est d'enrichir le matériel génétique de la vigne, du cépage, pour qu'il y ait un petit peu de génétique du parent américain et un petit peu de génétique du parent européen. Parce que la vigne américaine est naturellement résistante aux maladies de la vigne. Donc ce qu'on cherche à atteindre en croisant, c'est de récupérer ces gènes de résistance et d'avoir la génétique aromatique de la vigne européenne. Plutôt les gènes de goût, les gènes aromatiques, parce que voilà, on est attachés à notre héritage viticole.
Donc l'intérêt de croiser, c'est d'avoir des gènes de résistance issus du parent américain et de garder un peu de gènes aromatiques du parent européen.

Que penses-tu du terme “cépage hybride” ?
Déjà, le terme de cépage ne devrait pas être utilisé. L'Observatoire international de la vigne et du vin estime qu'on doit appeler ces cépages là des variétés résistantes. La dénomination cépage, elle doit être réservée aux vitis vinifera. Et ça fait débat au niveau de la communauté ampélographique.
On doit parler de variétés résistantes pour tout ce qui est hybride, etc. En effet, le terme hybride est connoté péjorativement, c'est sûr. Moi j'aime bien la dénomination “résistant” parce qu'il y a quelque chose de politique derrière, parce que ces cépages là ont une histoire politique. Après, oui, hybride, c'est sûr qu'on pense de suite à une Peugeot 308 qu'on peut recharger. On peut mettre un peu d'essence dedans. C'est sûr que ça ne donne pas très envie. En effet, il vaut peut être mieux parler de cépages résistants, mais encore là, au niveau politique et institutionnel, on n'a pas le droit de dire cépage, donc on peut dire variété résistante.

Quel(s) bénéfice(s) ces variétés ont-elles pour l’environnement ?
Il y a un réel intérêt des cépages hybrides ou résistants pour l'environnement. En fait, cette capacité naturelle à résister aux maladies de la vigne, à résister aux maladies cryptogamiques fait qu'on n'a pas besoin de traiter les sols, ou peu. En tout cas, ils sont peu gourmands en traitement.
Et ça c'est quelque chose aussi où je trouve qu'il y a un déficit d'information dans le milieu du vin nature. On oublie que, même quand on est certifié en bio, la vigne et les cépages dits classiques ou dits nobles, pinot noir, chardonnay, cabernet franc, etc. nécessitent des traitements au soufre et au cuivre. Et quand un vigneron ou une vigneronne est certifié bio, ils ont droit de diffuser jusqu'à six kilos de cuivre par hectare et lissés sur cinq ans. Ça veut dire que si une année est vraiment très difficile, on peut mettre jusqu'à dix kilos de cuivre et l'année d'après, on n'en mettra que quatre. Et ça, on a tendance à l'occulter, je trouve, quand on boit du vin nature.
Aujourd'hui, quand on défend du vin nature, on met beaucoup plus d'énergie dans la quantité de sulfites. Mais toi, ta cuvée c'est du zéro zéro. Il y a vraiment zéro sulfites, etc. Certes, mais dans le sol, il y a eu peut-être six kilos de cuivre cette saison. Par exemple, Emmanuel Bienvenu avec qui je travaille, qui est un vigneron dans le Poitou, cette année sur ses hybrides, il a traité que quatre fois quand ses collègues, ses voisins ont aspergé quatorze fois. Donc oui, l'intérêt environnemental est évident. Il y a moins de soufre, il y a moins de cuivre dans les sols. Il y a aussi un intérêt de résistance face aux dérèglements climatiques.
En Allemagne et en Suisse, ils ont développé la recherche bien avant nous autour des hybrides. C'est parce qu'ils se posaient la question de QUID de la résistance au gel ? Et en fait les hybrides, on se rend compte qu'il y a une capacité plus élevée à remettre un fruit après un épisode de gel que des vitis vinifera. Et il y a aussi l'assurance d'avoir une récolte.
En plus, les vignerons dorment un peu plus tranquilles, à tête reposée. Voilà, c'est aussi pour ça qu'ils font du vin. C'est pas pour que chaque année, à chaque saison, ils se disent est-ce que je vais avoir une récolte? Combien de fois vais-je devoir asperger ? Parce que traiter c'est pas un truc fun où on asperge un peu avec votre arme, avec votre arrosoir quoi. C'est Tchernobyl quoi. On enfile une combi, on est sous combinaisons blanches et ça c'est quelque chose qu'on n'a pas comme bagage d'informations, je trouve, quand on est consommateur ou amateur de vin nature.
Cette année, il y a un vigneron que j'aime beaucoup, à Cahors, qui a partagé une story de lui pendant la saison des traitements en mai juin. On le voyait sur un tracteur, sous combi, en train de traiter la vigne, il avait écrit sur la vidéo : "c'est aussi ça le vin nature quoi !" C'est triste et je trouve qu' il y a un déséquilibre entre l'intolérance que l'on va avoir sur du sulfites en bouteille, c'est à dire cette idée absolument inébranlable qu'il faut boire du vin sans sulfites ajouté. Par contre, ce qui se passe du côté végétal, on s'en fiche quoi. Ce n'est pas qu'on s'en fiche, c'est qu'on ne regarde pas.
Je ne sais pas quels sont tous les cahiers des charges pour des Vins Méthodes Nature etc. Mais en tout cas, certification AB c'est six kilos de cuivre par an. Après, il y a des défenseurs - ou des détracteurs, ça dépend comment on voit les choses - qui vont dire “oui mais le cuivre c'est nécessaire pour la production d'azote”. Au niveau végétal, oui, mais pas six kilos de cuivre. On n'est pas dans ces niveaux là. Ce n'est pas quelque chose qui est biodégradable non plus. Je ne sais pas s'il y a des pâturages aux alentours de la parcelle. Les moutons, ils n'évacuent pas le cuivre. Nous, on peut s'en sortir en tant qu'humain, même si on voit que les vignerons, enfin s’ils se protègent autant pour asperger, c'est que on ne peut pas dire que ça fait du bien aux sols non plus. Oui, l'intérêt environnemental des hybrides, de la plantation des cépages résistants, il est là. Il est sur le fait de moins traiter, sur la résistance au gel et l'adaptation aux épisodes de chaleur et le côté vigoureux qui fait que les vigneronnes, les vignerons, ils ont une récolte, ce qui est quand même la raison pour laquelle ils font du vin.

En quoi ces cépages sont davantage adaptés aux changements climatiques ?
Disons que le dérèglement climatique implique des épisodes de gel exacerbé, des fortes chaleurs à des saisons où on ne s'y attend pas. On sort de deux mois de pluie. Je pense qu’il va manquer de précipitations sur des périodes où on attend de la précipitation. L'épisode de gel est coûteux à la vigne parce qu'en fait, typiquement, cette année, il a commencé à faire très beau, très chaud en mars. En mars, on a eu des épisodes où il faisait 20 degrés. Donc la vigne, elle reçoit quoi comme information ? Elle reçoit qu'il faut mettre à fleur, il faut mettre à fruit. Donc elle sort des fleurs et en fait c'est trop tôt comme période de floraison. Février/ mars c’est trop tôt, donc elle sort une fleur et en fait elles commencent à sortir des grappes et l'épisode de gel est fatal parce qu'elle peut pas remettre à fruit derrière ça, ça va geler le gravillon et il n'y aura pas de bourgeon. En fait le réchauffement climatique, ça envoie des informations incohérentes avec le circuit végétal naturel que devrait avoir la vigne. C'est-à-dire une floraison en avril/mai et puis ensuite une mise à fruits. Et le gel est d'autant plus fatal dans ces moments-là, parce que ça tue une récolte. Et ça, oui, c'est lié au dérèglement climatique.
Les hybrides ça goûtent mal ?
Les hybrides, c'est comme tout. Il faut être un peu curieux. Et en fait, il ne faut pas s'arrêter à un préconçu sur ce qui a pu être fait avant, parce que ça souffre aussi d'une mauvaise réputation qui a été jusqu'à l'interdiction de certains cépages, qui a été jusqu'à la promotion à l'arrachage de ces cépages là. En fait, ça souffre aussi d'un héritage historique où on utilisait ce cépage là pour en faire de la piquette ou pour en faire de l'alcool. Donc voilà, historiquement, il y a un truc un peu compliqué avec les hybrides, on a décidé que ça goûtait mal et que c'était comme ça.
Maintenant, je pense que vous pouvez témoigner, on vient de goûter quatre cuvées à l'aveugle. Je suis pas sûre que ce soit hyper clivant non plus quoi. Ben là, ce qu'on a goûté par exemple, il y avait des marqueurs : c'était chargé en acidité par exemple. Après, court en bouche, ça dépend vraiment aussi peut être plus de la vinification qui est faite, et aussi de quel cépage il s’agit. Il y a des cépages qui sont très juteux, qui n'ont pas vraiment de charge aromatique très très intéressante. En fait, ces gens-là, je les invite à goûter et à être curieux.

Tu as organisé un salon que t’as appelé Résistance, tu peux nous en parler ?
Oui, on a organisé un salon le 17 novembre dernier, grâce à l'invitation de l'équipe du Gush qui est un bar rue des Pyrénées (75020). Donc c'était un salon avec les vignerons et vigneronnes de l'agence ORJI. Et puis il y a eu aussi d'autres vignerons et vigneronnes qui se sont joints à nous. Thème 100 % cépages résistants, d'où le nom. On a été surpris du nombre de particuliers qui sont venus franchement. C'est une erreur d'agent : j'ai fait un salon un dimanche ! Mais mon envie, c'était plutôt destiné aux pros. Et en fait, le dimanche, on a attiré énormément de particuliers. Mais ça veut dire qu'il y a des gens curieux de ça. Au-delà du monde professionnel, au-delà des amateurs de vin, au-delà des sommeliers, des sommelières. Donc c'est trop bien, ça veut dire que le public est prêt !
On va en refaire en juin. On a les filles. Et oui on en avait déjà fait un salon qui s'appelait Hybride, c'était grâce à l'invitation et proposition d'Etienne et de Lisa de l’Orillon. C’était une première édition en juin, c'était vraiment que des vignerons et des vigneronnes de l'agence ORJI. Donc on était au nombre de cinq à l'époque et c'était super. Et c'est vrai que c'était une super expérience pour eux aussi parce qu'ils étaient à l'intérieur de l'Orillon. Les gens étaient sur le trottoir, ce qui fait office de terrasse quoi, donc les gens étaient dehors, il faisait beau, tout goûtait bien. C'était un super moment. Super!
