Didier Grappe : le Jura en résistance

Décembre 12, 2024 - 1 commentaires

Didier Grappe : le Jura en résistance 

On a interviewé Didier Grappe et c’est passionnant ! Un podcast de 20 minutes dans lequel Didier aborde en vrac et avec sensibilité et passion : le vrai prix du vin, le gel, les hybrides, le Jura, les traitements et les sulfites, la sélection génétique dans le vin, les AOC, la transmission…

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La transcription écrite de l'interview :

Au début, as-tu rencontré des difficultés pour trouver des débouchés et commercialiser tes vins ?

J’ai commencé en 2000. J'ai connu l'époque où personne ne voulait boire du Jura. C’était vu comme du vin acide, oxydatif. Personne ne voulait en boire, au stade où maintenant toute la planète entière veut boire du Jura. Donc j'ai connu l'époque où le Jura ne se vendait que dans le Jura. Il n'y a vraiment que les Jurassiens qui voulaient en boire. Et puis là, on est au stade où, s’il y a une crêperie qui ouvre à Copenhague, il y a quatre références Jura. Tout le monde veut du Jura. Alors qu'on fait 0,3% du territoire français, on est minuscule. Non, on a de la chance. Mais j'ai des collègues, par exemple en Loire, des fois je vois des prix à 7-8 euros, c'est pas possible, ça devrait valoir 25 euros cette bouteille. Mais ils sont noyés dans une masse plus grande. 

didier-grappe

Quel est ton avis sur les prix du vin en ce moment ?

Nous, on veut rester dans des prix populaires. On a des Savagnin ouillés à 12 balles, mais je pense qu’on est quand même les moins chers en zéro sulfite de la région. Faire du local et du populaire ! On veut rester en Europe proche et garder des prix populaires. Moi, quand je vais dans un bar à vin, et qu’il fait un coef 2-2, j'aime bien acheter des bouteilles à 20 balles, à 25 balles. 25 balles, tu mets ta quille, ça va, t’as payé ta tournée. Mais putain, les quilles à 60 balles, faut que ce soit des bons amis autour de la table. Là où ils spéculent, c'est vraiment les domaines qui ne produisent pas grand-chose. C'est l'offre et la demande. Il y a toujours un millionnaire qui sera capable de mettre 300, 400, 500 balles dans une bouteille. 

Comment s’est passée ton année ?

On a déjà gelé, on a déjà perdu les deux tiers de la récolte. C'est encore trop tôt pour le dire parce qu'on ne sait pas si c'est 80% ou 60% de perte, on ne sait pas encore. Parce que là, il y a des bourgeons qui ressortent, ils vont faire quelques fruits. On a des hybrides dont ils refont une mise à fruits après le gel. Donc pour l'instant ça ne bouge pas trop, on en saura plus dans 15 jours. Mais on a déjà pris une belle claque. Bon, on a enchaîné deux belles années, 2022-2023. Et si on lisse sur trois ans, même si on fait un tiers de récolte, ça va. Après, c'est une année très compliquée. Déjà, le printemps, il pleut tout le temps. tout le temps, tout le temps. 

didier-grappe

Comment as-tu commencé à travailler dans le vin ?

J’ai commencé par aller bosser chez mon voisin qui est vigneron. J'allais bosser le week-end chez lui, il est mort depuis. Et après, j'ai commencé à avoir mes propres vignes. Ensuite, je suis allé à l'école pour passer le diplôme agricole. Et après, je me suis installé. J'ai pu récupérer beaucoup de terrains vierges, nus. Des super terrains sans vignes pendant 80 ans, des terrains reposés, pas d'historiques pesticides, des terrains magnifiques. 

Il y a 20 ans, c'était très abordable d'acheter ici, dans le Jura, comparé à aujourd'hui ?

Tout est compliqué aujourd'hui. Encore pire sur Arbois, où il y a une pression foncière incroyable. Dès qu’il y a un bout de vigne qui se lâche, 150 sont sur le coup. Mais moi non, c'était facile. On me proposait de la vigne régulièrement. Je refusais, j'acceptais. J’ai pu acheter les terrains que je voulais. Il y a 20 ans, c'était vraiment facile. Mais les jeunes, ils ne récupèrent que des vieilles galines qui sont usées jusqu'à la corde, qui sont difficilement mécanisables et qui ne produisent pas grand-chose.

J'ai trois parcelles sur la commune. Là, c'est la plus grande. Je vois la vigne depuis ma cave et pour les vendanges c’est pratique. Ça change tout parce que je laisse le pressoir serré ou pas, en fonction de s’ils font une remontée ou pas. Et puis voilà, c'est une proximité. La ville la plus loin, elle est à un kilomètre. Pour ramener la vendange, pour aller bosser, on y va à vélo ou on y va à pied. 

didier-grappe

Est-ce que tu gardes un petit peu tes vins ?

Un tout petit peu, mais je n'en garde pas tellement. Je suis plutôt excité par les nouvelles cuvées que par les anciennes. Mais Jules, mon fils, avec qui je travaille, on est associés, il aimerait bien. C’est vrai que des fois, on reçoit du bon monde... Et c’est vrai que c’est bien de pouvoir proposer des plus vieilles cuvées. 

Quelle a été la place des cépages hybrides dans le Jura ? 

Pierre Overnoy a de vagues souvenirs que dans les années 50, un tiers du vignoble français était planté en hybride. Il y en avait partout. Il a aussi des souvenirs du vin de tous les jours. Pour le coup, à Pupillin, ils sont vite passés en AOC et ils ont vite tout arraché. Dans le sud du Jura, on en retrouvait beaucoup plus d'hybrides. C’était souvent des paysans qui avaient ça. Ils avaient 10 vaches, un hectare de vignes, quelques arbres fruitiers. C'était le modèle agricole. Il y avait très peu de vignerons. Dans le Jura, il n’y avait qu’une dizaine de familles qui ne faisaient que de la vigne. Tout le reste, si on regarde toutes les maisons, il y a une grange, une écurie, une petite cave. Ils avaient 4 vaches, un peu de maraîchage et un petit peu de vignes. Et le résultat, les hybrides, ça allait bien pour ça. Parce qu'il n'y avait pas de traitement. Quand il fallait faire les foins, la vigne, on pouvait la négliger un petit peu. Les AOC sont arrivés là-dessus et ils ont interdit tout ça. Et ça a changé la donne. Du coup, on ne retrouve pratiquement aucun cépage hybride en France. Alors que c'était un tiers du vignoble, 400 000 hectares, ça représenterait la moitié du vignoble actuel. On est à 800 000.

Il y a eu des campagnes de dénigrement, il y a eu des primes à l'arrachage. Et résultat, il fallait faire de l'AOC. Et les paysans qui avaient un petit peu de vignes, un petit peu de vaches, et bien les troupeaux ont grossi, les bâtiments agricoles ont grossi. Résultat, ils se sont spécialisés aussi, soit vignes, soit vaches. Et résultat, on ne trouve plus ce modèle agricole.

Dans les années 50, il y a eu une énorme crise viticole de surproduction. Il y a tous les vignobles du Maghreb qui sont montés, qui n'existaient pas avant. Il y a tous ces paysans qui avaient 400 000 hectares d'hybrides. De plus, il se buvait un peu moins de vin. Et résultat, la France a été en surproduction et les cours se sont effondrés. Ils ont trouvé deux solutions : en baissant le taux d'acidité volatile, en le ramenant à 0,88 alors qu'avant il était à 1,6, 1,20. Ça, ça faisait chier les vins du Maghreb. Pays chaud, plus c'est chaud, plus tu fais de vol. Résultat, ils ont baissé le curseur pour que les vins d'Afrique du Nord soient plus marchands.

Et l'autre truc, c'est qu'ils ont interdit ces hybrides dans les AOC. Ils ont donné des primes à l'arrachage pour que les paysans arrêtent de faire de la vigne et qu'ils laissent la vigne aux viticulteurs. Mais ça, c'est dû à une crise de surproduction dans les années 50. Avant, il se buvait je ne sais plus combien de litres de vin, mais la consommation a baissé. Et voilà, c'était la crise. Donc chaque région a secoué son député par les bretelles. Ils ont voté des lois interdisant ces hybrides en donnant des primes à arracher, des campagnes de dénigrement en disant que ces cépages n’étaient pas qualitatifs. Et à cette époque-là, les préoccupations écologiques n'importaient pas.

aoc
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Moi, j'étais à Beaune en 1999, quand je leur parlais d'hybride, ils me disaient, le mildiou et l’oïdium, c'est un faux problème, ça se traite très bien. Pourquoi tu veux mettre des plantes qui résistent à l'oïdium ? Parce que, certaines années, avec 15 traitements, il y a des régions qui ne récoltent pas. Ils me disaient, non, c'est un faux problème, le mildiou et l’oïdium, ça se traite très bien. Quand je vois toutes ces nappes phréatiques, tous ces traitements pour maintenir en vie cette plante...

Valentin Morel parle de malades en soins palliatifs. Il parle d'acharnement thérapeutique à coup de traitements et de traitements. Une vigne, si on ne la traite pas pendant 4-5 ans, elle crève. Elle ne fait plus assez de photosynthèse, elle va s'épuiser, elle va mourir. Tu trouves des porte-greffes, tu trouves des hybrides dans les bois, dans les buissons, des choses qui vivent très bien, qui font des montagnes de raisins. Mais nos cépages, chardonnay, poulsard en particulier, si tu ne les traites pas 3-4 ans, ils crèvent. Donc il faut cette perfusion de produits phytos pour les maintenir en vie. Alors qu'on avait des cépages qui ne demandaient rien du tout. Alors nous, forcément, avec Valentin Morel, avec Yves Roy, avec 2-3 gars dans le Jura, puis avec 2-3 gars partout dans le Beaujolais, on s'est dit, on va replanter ces cépages, puis faire du vin naturel, sans traitement à la vigne et sans traitement à la cave. Nos hybrides, nous, on n'a jamais eu besoin de les traiter. Moi, si je voyais de la maladie, je ferais peut-être un traitement, mais on n'a jamais vu de maladie. Ça fait 100 ans qu'ils sont résistants, ça fait 100 ans qu'ils sont bien. Nos hybrides sans traitement, les années à forte pression mildiou, ils sont 10 fois plus beaux que les chardonnays avec 8 traitements. Ils sont magnifiques. Pas de perte de récolte…

Avant, on avait des centaines et des centaines de cépages dans le Jura. On ne faisait pas les mêmes vins qu’on fait maintenant. Avant, les vins étaient faits sans sulfite. Il n'y a jamais eu un vin de levuré, c'était la tradition. Et là, on va te ramener à ce vin technologique des années 70, décrit comme étant la tradition. Le terroir, c'est ça. Et bah non, le terroir, ce n'était pas ça avant. C'était des sélections où les gens faisaient leurs propres greffes. C'était un bordel monstre dans les vignes. On n'avait pas un seul clone qui faisait le même raisin. Ils mettaient du blanc, du rouge, ils assemblaient tout. Ça, c'est la tradition. C'était des vins libres. Et on a vraiment voulu uniformiser tout cela. 

On peut trouver  de très grands cépages dans ces hybrides. Il y a des hybrideurs de génie comme Valentin Blattner et Borioli en Suisse par exemple. L’INRAE, ils font n'importe quoi, ils font des cépages à 98% vinifera. L’INRAE veut faire des hybrides mais qui ressemble à un chardonnay. Ils veulent arriver à ça. Je dis non, mais vous allez nous faire des plantes qui ressemblent à rien. Eux, avec le poids de cette tradition et puis des AOC, ils veulent essayer de nous sortir une copie. Bon, pour les coups, ce sera un cépage qui sera un peu résistant, c’est toujours bon à prendre. Mais je dis, on s'en fout de ça. Pourquoi voulez-vous lui faire un Chenin ou un Savagnin ? Il y a tellement de choses différentes à faire. Et puis tu vois, dès que tu connais une vigne, tu vas chercher des bois, tu demandes à ton pépiniériste qu’il dégreffe, et voilà, tu peux replanter ce que tu veux. 

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Est-ce que on les reconnaît à l’aveugle les vins issus de cépages hybrides ?

À l’aveugle, les rouges sont quand même assez identifiables j'adore mais ils peuvent avoir des fruités un peu fraise des bois, des fois un petit peu aqueux. Le milieu de bouche, parfois, retombe un petit peu. Je les adore mais oui, je les reconnais. Mais sur les Blancs à l’aveugle, c’est très compliqué. Entre un Chenin et un Savagnin, ce serait vraiment compliqué. 

Peux-tu nous parler de tes vignes hybrides ?

Mes hybrides, je les ai plantés il y a 8 ans. On en a replanté aussi il y a 4-5 ans. La vigne de 4 ans a quand même souffert du sec. Il y a des grains qui se sont flétris. On a quand même fait un peu de tri, mais on en a laissé passer, mais volontairement. Je pense que c'est ces grains-là qui ont ramené cette tension acide, mais qui lui va bien. Et, les hybrides refont une mise à fruit après une gelée. Le contre-bourgeon est productif. Nous, on a gelé en 2017, 2019, 2021, 2024. On va peut-être rester 25 ans sans geler, mais là, on a une série épouvantable. Il y a beaucoup d'alternatives complètement délirantes. Des fils chauffants, des chaufferettes à fioul, des éoliennes qui tournent avec un brûleur fioul, des hélicoptères pour brasser l'air. C'est quand même hallucinant d'arriver à cramer de la paille, du bois, des choses comme ça pour chauffer les nuages, pour sauver trois bourgeons. Et moi, je ne suis pas tellement solidaire de cette agriculture-là.

Il faut qu'on arrête de sortir ce carbone du sol, ces énergies carbonées, pour sauver trois bourgeons. On va chauffer les nuages avec un truc qui fume tout noir. Il y a un moment, il faut prendre des alternatives. Et bien,  ces cépages-là. Ils refont une mise à fruit. Valentin Morel, en 2019, je crois, il a gelé carrément toutes ses vignes hybrides. Il fait 30 hecto-hectares après. Donc, il fait une jolie petite récolte hyper satisfaisante pour une année de gel. Et sans cramer du carbone... C'est pour ça qu'on fait un prosélytisme éhonté en faveur de ces cépages, c'est parce que pour nous, ils n'ont que des qualités.

didier-grappe

Association Vitis Batardus Liberata

Aujourd'hui, il y a une association qui s'appelle Vidis Batardus Liberata. Et ça regroupe tous les hybridophiles nature. On  est peut-être une trentaine de vignerons. Dans le Jura, il y a Valentin Morel, moi, Yves Roy. Dans le Beaujolais, il y a Hervé Ravera, il y a Romain des Grottes, Geoffrey Estienne bien sûr, bon après j'en oublie plein, il y a Nadia Beaune. Le but, c’est vraiment de promouvoir ces cépages, d'en parler aux vignerons, on veut que les gens en plantent. On en a parlé aussi à la presse, aux sommeliers. Mais moi, ma vraie raison, c'est avec les vignerons. Je veux qu'on fasse des visites, qu'on goûte les vins. On reçoit beaucoup de monde. Les gens sont curieux, les vignerons aussi. Je vois beaucoup de jeunes aussi qui s'installent. Commercialement, on a une demande énorme à Paris. Il y a quand même des gens qui ont compris ce que c'était que des vignes sans traitement. Ils ont adoré le goût. À travailler, c'est une pure merveille. Y’a jamais de traitement. Nous, nos chardonnays, quand ils sont traités, putain, on ne met plus les pieds dedans, quoi. Ça pue le soufre. Une vigne bio, ça pue, quoi. C'est traité, soufre et cuivre, c'est quand même quelque chose. Si tu fais la bise à un vigneron bio, tu vas tout de suite sentir le traitement tout l’été. C'est quand même un produit qui marque le vigneron. Et nous, on propose des plants où il n'y a pas toute cette pollution. Et on veut les promouvoir. Donc les choses évoluent, les appellations commencent à autoriser un hybride par-ci par-là, en essai.  

vitis batardus liberata
vitis batardus liberata

Les AOC et la tradition

Les AOC, pour moi, elles sont à côté de la plaque. Il y a trop d'inertie. Le climat évolue plus rapidement que les AOC. Ce poids de cette pseudo-tradition. Heureusement, nous, on prend 2-3 libertés en vins de France, et on gagne du temps parce que cette histoire de tradition, c'est quand même quelque chose de dingue. 

Si je prends par exemple la bouteille de vin, ce n'est pas un récipient traditionnel. Avant les années 40, tout le vin était tiré, la bouteille coûtait trop cher. Henri Maire, c'est ce que raconte très bien Pierre Overnoy, tu lui ramenais une bouteille vide, il te donnait un kilo de patates. Parce que la bouteille coûtait trop cher. En général, la bouteille en verre coûtait plus cher que le vin qu'il y avait dedans dans les années 40. Donc il n'y avait que du vin qui était tiré. Et quand on ouvrait du vin bouché, là c'était vraiment la bonne cuvée, mais il n'y avait pas beaucoup de trucs. Donc le bouchon en liège, la bouteille, ça existe depuis longtemps, mais ce n'est pas le récipient traditionnel. On a 20 siècles de viticulture dans le Jura, 2000 ans depuis les Romains. Pendant 2000 ans, on a fait juste 60 ans de bouteille. Après, on peut parler des cépages, pareil. On a 2000 ans de viticulture. Pendant 2000 ans, les vignes n'ont pas été traitées. Les gars, ils faisaient une bouture, ils mettaient un coup de sabot sur un bois de vigne, ça refaisait un nouveau plant, et ils récoltaient, et il n'y avait pas de traitement. Donc pendant 2000 ans, on n'a pas fait de traitement.

Quand je parle avec des vignerons qui me disent « oh, tes nouveaux cépages », je dis non, moi j'ai quand même l'impression d’être hyper traditionaliste en faisant de la viticulture comme les gens ont toujours fait, sans traitement. C'est ce qui est quand même naturel.  D’arroser de produits c'est surtout les années 70. Les AOC sont arrivées en 36, mais on peut dire que c'est en 50 qu'ils ont tous vermifugé l'encépagement français. Maintenant, il y a 40 cépages qui représentent 96% de l'encépagement. C’est-à- dire qu'on cultive 40 cépages et certains ampélographes disent qu'il y a 20 000 espèces de vignes. On en cultive 40. Ces 40 sont classés en deux catégories, les cépages sensibles et les cépages très sensibles. On a le choix entre ces 40-là. Le savagnin est un cépage sensible, le chardonnay est un cépage très sensible. Donc on souffre de cette misère génétique. Alors qu'il faudrait de la diversité. Il faudrait croiser tout ça. On a un problème génétique d'avoir sélectionné, d'avoir fait des champions qui ne sont pas rustiques, qui ne résistent pas et qui crèvent tout le temps. Il faut aller vers de la diversité.

Ils ont stéréotypé le vin comme un produit agroalimentaire, en disant ça c'est oxydé, ça c'est une souris, ça c'est de la vole, ça c’est réduit. Sans se poser la question est-ce que ça ne participe pas au bouquet ? C'est comme quelqu'un qui aurait mangé des « Vache qui rit » sa vie et qu'on lui fait goûter un fromage fermier, il va dire ça pue. Pareil pour le vin, ils ont tellement maîtrisé oenologiquement avec des sulfites, des levures…Justement Pierre Overnoy a lutté contre ça tout le temps, maintenant quand on fait goûter un vin naturel à un dégustateur agréé, justement, il va dire, ah bah non, ça pétille, c'est pas filtré, c'est réduction et tout, sans se poser la question que ce fromage, il sent la vache, il sent le foin et tout, mais est-ce que ça participe pas au bouquet, quoi ?

Pour le coup, je fais souvent des comparaisons entre le vin et la musique. Si tu as envie d'écouter Rammstein, tu ne vas pas écouter Vivaldi ou tu ne vas pas écouter Michel Sardou. Moi, j'ai l’impression que les AOC veulent aussi faire du Michel Sardou. Mais après, c'est techniquement bien fait. Il y a les meilleurs paroliers, il y a les meilleurs arrangeurs pour faire un truc bien glauque. Mais techniquement, c'est quand même bien fichu. Après, moi, j'ai plutôt envie d'écouter de la dissonance. Mais après, il y avait tellement de variétés et c'est ça qu'on a voulu uniformiser en disant ça c'est pas bon, ça c'est bon. Les AOC, c'est de pire en pire. Nous, on est tous sortis de l'appellation, donc on n'a plus de problème. Je vois plein de jeunes vignerons qui disent qu'ils ont goûté mon vin et ils ont maquillé ça. Le jeune, il a galéré avec le climat et tout ça. Il commence à sortir ses premières quilles. Il n'est pas mécanisé. Il a perdu 20 kilos dans la saison, il le présente à l'agrément et il se fait humilier en disant que votre produit fait du tort à l'appellation. Vous ne pouvez pas l'appeler Côte du Jura. C'est très, très compliqué. J’en ai souffert un petit peu, moi, de ça. Maintenant, on a pris beaucoup de recul. Mais je me suis longtemps battu pour comprendre ces appellations. J'ai même été élu dans mon syndicat d'appellation pour participer aux réunions, pour en parler. Il y a quand même deux agricultures qui sont irréconciliables, tellement à côté de la plaque. 

Je ne peux pas appeler mes vins savagnin par exemple. Notre appellation a déposé les cépages jurassiens : savagnin, trousseau,  Poulsards. Ils sont trop représentatifs du Jura. Et la répression des fraudes m'a dit, non, vous ne pouvez pas faire un vin de France savagnin. Je n'ai pas le droit de marquer le mot Jura sur l’étiquette. C'est le jeu aussi. On n'est pas dans l'appellation.  Je peux faire un vin de France Chardonnay, parce qu'il y en a partout, mais je ne peux pas faire un vin de France poulsard. C'est la législation.

Tu as arrêté le bouchon en liège ? 
Oui, en 2018, j'ai eu de gros problèmes de liège. Des goûts de bouchon, des bouteilles de couleuses. Il fallait relaver toutes les bouteilles. On a eu beaucoup de bouteilles bouchonnées. Et là, on s'est équipé en vis. Après, on n'a plus eu de problème. Donc oui, on a perdu deux, trois petits clients, mais quand je vois toute la tranquillité... C'est un grand moment de stress les mises en bouteille. Est-ce que le vin va retravailler derrière ? Est-ce qu'il va s'oxyder ? Est-ce que j'aurai un goût de bouchon ? Si t'as une bouteille sur douze qui est bouchonnée, putain, t'es emmerdé parce que tu vends deux cartons, tu sais déjà que le type en a une ou deux dedans qui est potentiellement déviante. Et là,  je suis beaucoup plus serein. Je sais qu'on a zéro bouteille couleuse, zéro problème de déviation liégeuse. On a assez de stress avec la météo, les fermentations, les impayés. Donc si on peut enlever les trois choses qui stressent... Ah non, je ne reviendrai jamais au liège, ce n'est pas possible.

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Et ton fils, il a toujours voulu faire du vin ?

Il a fait son apprentissage là, trois ans de bac pro. Après, il était salarié un an. Et puis là, ça fait deux ans qu'on est associés. Au début, pas vraiment. Et c'était un peu un drame parce que... Pour faire ce métier, il faut vraiment avoir le feu sacré et être passionné. C'est un métier que j'adore, mais c'est quand même un métier ingrat. On fait toujours le même geste. La taille, c'est le même geste pendant trois mois. Là, on fait du surgreffage. C'est couper un pied, le fendre, mettre deux bourgeons. C'est ça toute la journée. Moi, j'adore ça. Mais il ne faut pas le subir, ce travail. Il faut vraiment l'aimer. Jules, au début, il ne voulait pas trop faire ça. Et puis, pour le coup, à l'école, ça a bien mordu. Et là, il a beaucoup de plaisir à venir bosser. Et c'est la condition essentielle.

Si tu n'as pas de plaisir à le faire, c'est pas possible. Mais c'est propre à tous les métiers.  Si tu es enseignant, garagiste, un garagiste qui n'aime pas son métier, c'est une catastrophe. Un enseignant qui n'aime pas son métier, c'est une catastrophe. Et pour le coup, Jules, la mayonnaise a bien pris. Et maintenant, ce qu’il se passe, c’est que tous ses copains d'enfance ils font de la vigne. Le côté un petit peu branchouillard, faire du vin nature et tout. Au début, il trouvait que c’était un métier de plouc, mais non. Je suis sûr que tous ces jeunes, s'il y a 10 ans, on leur avait demandé ce qu'ils voulaient faire plus tard, il n’y aurait pas eu beaucoup de vignerons, mais là, ils bossent tous dans la vigne et puis ils sont plutôt contents.

 

Salon des cépages résistants 

Articles, interviews et livres sur les cépages hybrides 


1 Commentaire
IlMarchesediGanda 17 Déc. 2024
IlMarchesediGanda

Love Didier Grappe wines and after this enlightening interview even more! Keep on rocking Didier!

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