Le rêve de Bea
Beatriz Papamija a débarqué à Chinon en 2019, juste après les vendanges. Dans ses valises, son mari Etienne Leblanc, trois enfants, et une folle envie de vin naturel et d’autonomie.
Mais surtout une énergie à vous réveiller Gargantua et toute sa clique.
Le clos Kixhaya
Non, ne cherchez pas, le nom de ce nouveau domaine n’est pas une référence obscure à Rabelais. Les Chinonais sont certes passés maîtres dans l’art de l’arranger à toutes les sauces, mais pas cette fois. Pour baptiser son domaine endormi, Beatriz – appelez-la Bea – a puisé dans ses racines : kixhaya est un mot composé en langage Nasa, le peuple amérindien de son grand-père colombien, de deux mots signifiant « liane » et « eau ». Délicate façon
d’évoquer l’origine de son joli accent. Colombienne, elle a rencontré son conjoint Etienne Leblanc en Espagne, et ils ont créé leur famille en Angleterre. Architecte spécialisée dans les énergies renouvelables, Bea a toujours voulu travailler la terre, mais « en Colombie, ce n’était pas possible ». « A l’école d’architecture, on nous a dit ‘ architecte n’est pas un métier, mais une façon de vivre’. Je n’ai vraiment compris cette phrase que lorsque je suis devenue
vigneronne. »
Le parcours
« Je voulais un travail dans lequel on réalise tout le processus, explique Bea. Et le vin c’est ça. Tu peux être dans les vignes et toucher la plante. Et il y a la vinification, et enfin la commercialisation, c’est beaucoup de métiers dans un seul. » Le couple voulait changer de vie, quitter la ville pour la campagne. Etienne est du Pas-de-Calais, « no way » pour Bea.
Pareil pour le Sud, « trop aride ». « J’ai découvert la Loire et je suis tombée dans la marmite.
C’est incroyable cette diversité, cette richesse ! » Un BPREA à Montreuil-Bellay plus tard, la voici vigneronne.
Le Clos Kixhaya est bel et bien une aventure de couple : Bea et Etienne poursuivent ensemble ce rêve d’autonomie, de petit Eden auto-suffisant. Pour le domaine viticole, Etienne gère la partie administrative et financière, mais c’est Bea qui fait les vins, et qui donne le LA. Et il est bon de le rappeler, à toutes fins utiles. « Je ne peux pas m’empêcher de remarquer que je dois prouver chaque jour que je suis vigneronne. Alors qu’Etienne, qui n’a
fait ni la formation ni les stages, il met un pied dans les vignes, et ça y est, il est vigneron aux yeux du monde… »
Maison endormie
Pour trouver les vignes, il a fallu un coup de chance et pas mal d’audace. Leur « clos » de 4,5 hectares, ceint de murs en partie écroulés, venait accompagné d’une maison, juste en face.
Enfin, une maison… Une ruine en tuffeau, avec des ronces jusqu’au toit et juste ce qu’il fallait de splendeur passée pour faire rêver. En attendant les grands travaux, la petite famille s’est installée dans la maisonnette du gardien et tout le monde, grands-parents compris, s’est attelé à la tâche titanesque de réveiller cette belle endormie.
Les vignes : cabernet franc only
Alors là, c’est très simple : du cabernet franc et du cabernet franc et encore du cabernet franc. Vous faites la grimace ? « Moi aussi je rêvais d’avoir plein de cépages différents, se souvient Bea. Mais voilà, ce n’est pas possible. Et plus je découvre le cabernet franc, plus je suis épatée par tout ce qu’on peut faire avec ! » Des bulles, des rosés, des rouges légers, des rouges moins légers… Tout lui va. « Et moi, glisse la vigneronne, je suis un peu irresponsable, je teste tout y compris des choses qu’on ne doit pas faire comme des macérations en grappes entières… »
Côté sol, pensez « sables » et calcaire tout en dessous. Autrement dit : de la fraîcheur et peu de profondeur. La parcelle se trouve sur la rive gauche de la Vienne (les coteaux historiques de Chinon sont plutôt sur la rive droite). La conversion en bio a tout de suite été lancée, de même que la taille douce de la vigne, une technique qui se veut plus respectueuse des ceps et donc plus durable. Une petite surface de vignes a été arrachée, et Bea souhaite y
replanter du gouais, un vieux cépage blanc historique de la région.
« Pour éviter le gel, on taille le plus tard possible, et à deux pour aller plus vite. C’est notre seule protection. » Pour tout le reste, c’est Bea qui fait le boulot, perchée sur son tout petit tracteur qu’elle a soigneusement choisi pour pouvoir le réparer et le manipuler seule.
#autonomie
Les vins : fraîcheur et délicatesse
Avec son cabernet franc et sa parcelle d’un seul tenant, Bea réalise cinq cuvées différentes :
- un pet’nat’, un vin blanc (de noir) un rosé et deux vins rouges.
- Le Blanc de noir est réalisé avec des raisins vendangés plus tôt, pour garantir de
l’acidité, en presse directe.
- La cuvée les Grappes (un des rouges) provient des vignes les plus jeunes ; le raisin est pressé très lentement après une macération de dix jours ; et le vin est élevé sept mois en cuves avant la mise en bouteilles. « Pour moi, c’est la pureté du cabernet », explique Bea.
- Pour l’autre rouge, la cuvée Le Clos 2020, le raisin est égrappé à la main, macéré pendant 40 jours et foulé au pied, pour une matière plus riche et plus structurée, mais toujours délicate. « Ca n'existe pas, mais on a fait une macération fermentaire.
Quand on est passé au pressoir, les jus étaient secs, sauf dans les raisins. »
- Outre le rosé Cryptochrome , reste enfin la cuvée Amphores. « J’en
voulais vraiment, des amphores, mais pas celles en terre cuite, trop poreuses, ni en grès car elles viennent de Chine. Celles que j’ai choisies viennent d’Italie, c’est un mélange d’argiles, avec la porosité d’une barrique. Cela donne une texture crayeuse au vin, un côté chaud et froid en même temps, une structure presque minérale. »
C’est durant sa formation que Bea a découvert les « miracles » de l’œnologie moderne.
« Quand j’ai appris qu’on pouvait utiliser jusqu’à 400 produits pour faire du vin, j’ai été choquée, se souvient-elle. On ne donne pas toute cette attention à la matière première pour ensuite mettre de la chimie dedans ! », s’étonne-t-elle encore. Extraits avec douceur et délicatesse et le moins de machines possibles, élevés avec patience, tous ses vins sont jusqu’à présent sans soufre.
Texte et Photos: Julie Reux
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